samedi 24 octobre 2009

Réception à l'acédémie des sciences

Si à ses débuts l’informatique servait à « calculer », on a vite compris que c’était aussi un outil fantastique pour gérer de l’information. Cela a conduit aux systèmes de gestion de bases de données relationnels, développées dans la seconde moitié du 20ème siècle, qui ont rendu possible le traitement de gros volumes d’information. Cette technologie est le fruit d’une recherche fondamentale qui s’est développée en lien étroit avec une industrie florissante. Elle est fondée sur des bases mathématiques rigoureuses et a développé notamment des ponts entre la théorie des modèles finis en logique mathématiques et la théorie de la complexité en informatique. C'est dans ce cadre que j'ai débuté ma vie de chercheur. Par exemple, un de mes résultats avec Victor Vianu établit que deux logiques de point fixe ont exactement la même puissance d’expression si et seulement si les programmes en temps polynomial et ceux en espace polynomial expriment les mêmes fonctions.

On commençait à peine à maîtriser la gestion de gros volumes de données sur des serveurs centralisés, que le web débarquait. En une vingtaine d’années à peine, il a révolutionné nos modes de travail et notre vie sociale. Du catalogue de vente d’Amazon, aux photos de Flickr ou l’encyclopédie Wikipedia, les bases de données sont au cœur des systèmes du web, avec des problèmes d'échelle étonnants, comme les milliards de pages indexées par Google ou les centaines de millions d'utilisateurs de Facebook.

Le monde de la gestion de données a profondément changé au delà même de ces problèmes d'échelle. Il a changé d’abord par la nature de l’information que l’on manipule, des structures plus riches comme les arbres XML et surtout moins rigides, plus dynamiques. Il s'est transformé surtout parce que l'information est de moins en moins centralisée ; chacun à sa mesure peut contribuer à l'édition d'information sur le web, à leur diffusion, à leur exploitation.
La gestion de données distribuées a longtemps constitué un problème difficile à résoudre du fait de l’hétérogénéité des machines, des systèmes d’exploitation, des modèles de données, des langages utilisés par les applications. Le web et ses standards ont changé la donne. On dispose en particulier maintenant d’un protocole de communication entre machines, les « services web », qui permet de transformer facilement des données personnelles en des ressources accessibles partout. Cela a conduit en particulier aux systèmes peer-to-peer, pair-à-pair en français.
A la base, un système P2P est constitué de machines autonomes, parfois en très grand nombre, qui coopèrent pour réaliser une tâche. Ce sont des pairs, égaux en droits, tour à tour clients et serveurs pour d’autres pairs. Le P2P est surtout célèbre pour le téléchargement plus ou moins légal de musique ou de film. Mais ses applications vont bien au-delà. Ses avantages sont considérables. D’un point de vue technique, en disposant de nombreuses machines (de leurs processeurs, de leurs mémoires, de leurs disques), on peut offrir de meilleures performances et une meilleure disponibilité. Surtout, de tels systèmes permettent d’utiliser les ressources innombrables disponibles sur le réseau, et de se libérer des serveurs commerciaux qui stockaient nos données. Il devient possible de reprendre le contrôle sur sa propre information.

Les bases de données relationnelles disposaient de fondements mathématiques solides. Ma recherche actuelle participe au développement de fondements semblables pour les données distribuées. Cela devrait permettre de mieux comprendre les systèmes que nous utilisons, de les rendre plus performants, de mieux les contrôler.

Que peut-on attendre de ce domaine ? Toujours plus d'innovation ! En déplaçant l'information vers le réseau, les avancées scientifiques et technologiques du web ont radicalement étendu l'univers du possible. Elles peuvent aider à résoudre nos problèmes les plus graves, comme celui du développement durable. Elles s'accompagnent bien-sûr aussi d’écueils, et pour n'en citer qu'un, la fracture numérique qui prive une partie de l'humanité de l'accès à l'information. Nous devons apprendre à en maîtriser les effets pervers mais sans en restreindre les possibilités extraordinaires.

Je voudrais maintenant conclure par une pensée pour les collègues et étudiants avec qui j’ai eu tant de plaisir à travailler et sans lesquels je ne serais pas ici. Je les remercie et je vous remercie pour votre attention.

Réception à l'académie des Sciences, juin 2009

La prime d'excellence scientifique (PES)



Les réactions contre la PES se multiplient, parfois un peu surréalistes, souvent assez inventives.

Préliminaires

Le problème principal à l'INRIA pour ce qui est des rémunérations des chercheurs, est le très faible niveau des salaires à l'embauche. Je ne dis pas que les salaires les plus hauts sont trop hauts: Les écarts entre les bas et les hauts salaires sont beaucoup plus étroits que la norme ailleurs, même si on peut encore les trouver trop importants. Mais, en gros, le fait de faire un des plus beaux métiers du monde compense le manque à gagner, seulement quand le salaire passe un certain seuil, disons au passage DR. Donc la priorité serait à mon avis de relever les rémunérations des CR. C'est la priorité et on nous balance dans les pattes une PES mal ficelée.

[Les chiffres que j'ai lus: Il y a une trentaine d'année, le salaire d'un jeune chercheur (n'ayant pas obligatoirement sa thèse) était de 4 fois le smic. Aujourd'hui il faut le plus souvent un post doc. Lesalaire est 1,5 fois le smic.]

C'est devenu une habitude. On déplace le débat sur des sujets annexes. Le vrai sujet reste la rémunérations des débutants. On n'en parle pas. S'il faut parler de la PES.

Contre la PES?

C'est vrai qu'on comprend qu'avec la PES nous aurions 80% de médiocres à l'INRIA. Ça refroidit! On ne peut pas l'accepter. C'est simple. Non à la PES telle qu'elle est proposée!

Depuis le temps que plein de fonctionnaires ont des primes et pas nous, on ne va quand même pas refuser? Est-ce qu'il est possible de faire évoluer la manière dont elle est distribuée? Oui à une PES qui serait bien faite. Est-ce qu'on sait ce qu'on veut? Est-ce qu'on parle tous de la même chose?

A contre courant

La recherche est un grand privilège. On a un des plus beau métier du monde. Donc cela se paie. Notre responsabilité est de rendre le système le plus efficace possible. Des primes d'excellence scientifique pourraient permettre d'attirer à la recherche les meilleurs jeunes, de les garder, de rendre le métier plus attractif aux meilleurs qu'on veut faire venir.

Les chercheurs choisissent leur vie. Certains font beaucoup de consulting et ça parait normal. Certains sont promus plus rapidement et ça parait normal. Donc l'idée de l'égalité de rémunérations entre chercheurs est une illusion.

Et pour contredire quelques idées lues ici ou là:

Ça va démoraliser de voir des gens avoir la prime quand d'autres ne l'ont pas: Arrêtez! On est habitué à voir des gens plus brillants que soi, des gens qui savent prouver des trucs qui nous ont arrêté. Ça nous pousse au contraire à essayer de nous dépasser.

Ça va introduire de la compétition, une mauvaise ambiance à l'intérieur des équipes. Arrêtez! On est habitué à la compétition. Et sauf à être looser, on a compris que nos meilleurs alliés étaient nos proches. C'est ensemble avec des collègues, qu'on apprend à réussir.

Ce n'est pas un jury "interne" qui saura nous évaluer. Il y a un peu de vérité là dedans. Donc il faut se battre pour que l'évaluation soit faites convenablement avec plein d'extérieurs. Et puis, on accepte bien l'évaluation à l'embauche et aux promotions. Ça change quoi?



Après pas mal d'hésitation, j'ai choisi de ne pas signer la pétition

Le périmètre de l'Institut informatique du CNRS

Joseph Sifakis, prix Turing 2007 : « On arrive à une situation aberrante au CNRS, condamnée par la majorité des informaticiens. »

Il s'agit toujours du futur institut d'informatique du CNRS dont la rumeur du CNRS est que sa géographie sera réduite à un sous ensemble de l'informatique.

Je partage ce point de vue. Je ne sais pas quoi dire de plus? Il faut que les informaticiens (au sens large et pas au sens de la moitié de la Section 7 du CNRS) expriment leur rejet de cette approche.