mercredi 30 décembre 2009

La fabrique















C'est un petit coin du Val de Seine, une de ses dernières usines. L'association La fabrique est arrivée à bloquer sa démolition et milite pour la transformer en espace culturel.

Le site de l'association: La fabrique

Quelques photos que j'ai prises récemment: Album

jeudi 17 décembre 2009

Interview dans Specif

Interview pour Specif réalisée par Bruno Defude, Hervé Martin et Florence Sèdes ci après désignés par Specif.

Specif : Peux-tu nous retracer ton parcours professionnel. Le statut souple de l'INRIA t'a permis un séjour de 2 ans au sein de l'université de Stanford ainsi qu'une implication forte dans une startup comme Xylème : n'as tu jamais eu envie de changer pour une carrière universitaire ou d'industriel ?

SA : J'ai fait une thèse à USC, Los Angeles. Puis j'ai été embauché à l'INRIA en 1982. J'ai passé deux ans à Stanford de 95 à 97. En 2000, j'ai fondé une start-up, Xyleme, avec Sophie Cluet et d'autres amis. Nous avons été super bien aidé par l'INRIA, par des gens comme Jean-Pierre Banâtre ou Laurent Kott. J'ai bien été un moment tenté par l'industrie. Mais ce n'est pas pour moi. Dans la recherche, quand on se lasse d'un sujet, on passe à un autre. Dans l'industrie, il faut au contraire essayer de rester sur le même créneau, de faire le plus possible la même vente. Et puis, quand la boite a grossi, j'ai trouvé que les nouvelles idées mettaient trop longtemps à arriver dans le produit. Ceci dit, j'ai une expérience trop limitée de l'industrie pour pouvoir en parler. Quand à une carrière universitaire, je suis dans un labo universitaire et j'enseigne mais pas trop. C'est idéal. Non ?

Specif : Tu as travaillé aux USA et en France. Comment se comparent selon toi leurs systèmes d'enseignement supérieur et de recherche ?

SA : Aux Etats-Unis, ils arrivent à attirer les meilleurs étudiants et des professeurs du monde entier. Pourquoi pas nous ? On peut trouver beaucoup de raisons. Les plus importantes à mon avis. Dans leurs meilleures facs, ils proposent des tas de bourses de doctorats quand nous demandons aux étudiants étrangers de suivre des cours en français avant de pouvoir leur proposer… peut-être une bourse plus tard. Ils offrent de gros salaires à leurs jeunes professeurs quand nous offrons des salaires très bas à nos maitres de conférences. (J'ai un jour indiqué ce salaire à une amie d'un grand groupe industriel ; elle n'a pas voulu me croire.) Enfin, ils leurs donnent des cadres de travail exceptionnels quand le fonctionnement de nos labos de recherche est très lourd. Nous perdons énormément de temps en bureaucratie, avec des règles idiotes et vexantes. Notre système est compliqué, souvent illogique et peu efficace, avec sa séparation entre universités et grandes école, entre chercheurs plein temps et enseignants-chercheurs. Cela dit, je connais surtout les endroits de prestige comme Stanford. La situation n'est pas du tout la même dans les petites facs paumées.
Pour ce qui est de l'enseignement de l'informatique en France. Il s'est beaucoup amélioré en s'alignant sur les curriculums des Etats-Unis. Aux Etats-Unis, on assiste maintenant à une remise en question de cet enseignement par des gens comme Janet Wing. Je n'y connais pas grand chose, mais c'est un sujet passionnant.

Specif : Tu fais maintenant partie du petit groupe d'informaticiens membres de l'académie des sciences. Peux-tu nous décrire plus précisément le rôle d'un académicien et quel est le regard des autres académiciens sur l'informatique ?

SA : L'académie donne des avis sur des sujets divers. Elle décerne des prix. Sans langue de bois, je ne trouve pas qu'on soit hyper utiles. C'est plutôt un truc de prestige. Evidemment, on peut essayer d'utiliser ce prestige pour le bien de la science en général, et de l'informatique en particulier.
Les autres académiciens des sciences que j'ai rencontrés se sont montrés plutôt respectueux de l'informatique. C'est peut-être juste de la politesse pour certains. Mais je crois aussi que Gilles Kahn, notre premier académicien informaticien, maintenant décédé, a fait beaucoup pour convaincre. Et ceux qui ont suivi ont enfoncé le clou. Par contre, ce n'est pas simple. Nous faisons partie d'une section qui s'appelle Mécanique et Informatique et qui couvre aussi des aspects de maths appliquées. Il y a des frictions pour le partage du gâteau. C'est structurel.

Specif : Il y a aujourd'hui de grands débats en France sur le statut de l'informatique : Est-ce une science et si oui comment la définir. Quel est ton point de vue sur le sujet ?

SA : C'est dingue qu'on ait encore besoin d'expliquer que c'est une science. Bien sûr, c'en est une :

  • parce qu'elle a développé tout un pan de connaissances nouvelles.
  • parce qu'elle a développé des outils qui transforment notre monde.
  • parce qu'elle exerce une énorme influence sur les autres sciences.
  • et surtout parce qu'un grand nombre de scientifiques se réclament de ce drapeau.

C'était la partie facile de la question. Comment définir notre domaine ? Pas en allant au rayon informatique de la Fnac ou dans une bibliothèque de quartier. On y trouve surtout comment apprendre à utiliser Word, Excel ou Windows. C'est autant de la science informatique qu'apprendre à faire du vélo participe de la science mécanique. Ensuite il faut oublier le terme anglais : computer science ou science des ordinateurs, c'est hyper réducteur. Notre domaine, c'est le traitement automatique de l'information, donc les algorithmes, le calcul, le raisonnement. On parle d'une nouvelle branche des mathématiques parce que l'informatique tient d'univers immatériels au contraire de la physique, la chimie ou la biologie. Mais ce n'est pas si simple. Le Web par exemple devient un objet physique complexe qu'on peut étudier avec des méthodes statistiques, un peu comme on peut étudie des turbulences dans un plasma. Et l'ADN, c'est aussi de la programmation.

Specif : Le CNRS vient de redéfinir son organisation en se structurant en instituts. Après de longs débats et plusieurs rapports, un institut des sciences informatiques et de leurs interactions vient d'être créé. Que penses-tu de l'émergence d'un tel institut et des frontières qui ont été choisies à ce jour

SA : La création d'un Institut d'Informatique me paraissait indispensable pour assurer une vrai place à notre domaine, longtemps parent pauvre du CNRS. J'ai fait partie de la commission Cousineau qui préconisait cela. J'aurais personnellement imaginé d'autres frontières que ce que je crois comprendre des plans du CNRS qui tient d'une vision étroite de notre domaine. D'ailleurs, j'aurais laissé les labos se positionner plutôt que de couper sur des lignes Maginot difficilement défendables.

Le débat qui a eu lieu m'a laissé perplexe. Je sais pour avoir participé à la création d'INRIA Futurs (Lille-Bordeaux-Saclay) tout le temps et l'énergie perdus à cause de la multiplication des tutelles. J'étais séduit par l'idée d'un seul institut sous la houlette du CNRS pour simplifier et rationaliser les fonctionnements, améliorer la visibilité des laboratoires universitaires. Et puis des gens très biens, des copains, qui connaissent le système bien mieux que moi, m'ont expliqué que j'étais naïf et que c'était ni souhaitable ni même réalisable. Bon. On a déjà un institut d'informatique au CNRS. J'espère que ce n'est qu'un début.

Specif : Il y a aujourd'hui une certaine désaffection des jeunes et particulièrement des filles pour les sciences. Cela se traduit par une baisse sensible de nos effectifs d'étudiants y compris dans les formations à la recherche (doctorat compris). Qu'est ce qui peut expliquer ce phénomène selon toi et comment peux t'on essayer d'y remédier ?

SA : Je pourrais en profiter pour me défouler et dire c'est la faute de très hauts dirigeants politiques qui disent que la recherche française est mauvaise ou la faute de responsables scientifiques qui passent plus de temps à bétonner leurs territoires qu'à draguer les jeunes. Mais le problème me parait bien plus sérieux. C'est un fait de société profond. Les jeunes choisissent des carrières plus " faciles ", qui leurs paraissent plus lucratives. On doit essayer de les convaincre du plaisir de faire des sciences, de la richesse des carrières scientifiques qui s'offrent à eux. Pour ce qui est des filles, c'est consternant ! Chercher uniquement nos scientifiques parmi les garçons des milieux favorisés, c'est se couper de la plus grande partie des talents. Il faut des actions volontaristes pour attirer les filles, les jeunes de tous les milieux, convaincre les parents, convaincre les profs, convaincre les décideurs, convaincre les employeurs, établir des quotas, offrir des bourses, etc. Je ne sais pas. Mais il faut faire…

Specif : Tu contribues régulièrement dans des journaux à destination du grand public. Qu'est ce que cela t'apporte et penses tu que les informaticiens devraient davantage faire œuvre de vulgarisation ?

SA : J'ai été pas mal sollicité récemment. J'ai accepté car c'est agréable de pouvoir écrire autre chose, de ne pas avoir à donner de preuve formelle. Cela dit, il y a sans doute un effet élection à l'académie. Ça va se calmer.

La vulgarisation des sciences est essentielle si on veut attirer des jeunes. Pour l'instant, en informatique, on n'est pas très bon. On trouve des tas de reportages à la télé, dans les radios, dans les journaux, pour la découverte de quelques os en Afrique ou celle d'une nouvelle exo-planète. Pas grand chose sur l'informatique qui est pourtant la science qui change le monde depuis cinquante ans. Ca n'intéresse pas de comprendre comment le moteur de recherche de Google fonctionne, comment un jeu vidéo représente les scènes, quels sont les risques du vote électronique. Il faudrait qu'on se bouge plus.

Specif : Une proposition de définition d'un enseignement d'informatique au lycée a été menée récemment mais n'a pas semble t'il été reprise dans la réforme en cours des lycées. Qu'en penses-tu ?

SA : C'est une catastrophe nationale et je pèse mes mots. Que dire d'autre ? On attendait cela depuis des années et le programme était à mon avis plutôt intéressant. On est en train de pénaliser sérieusement les générations à venir d'ingénieurs et de scientifiques français.

Specif : Tu es récemment intervenu à TELECOM Paris Tech pour y parler de l'enseignement de l'informatique. Quelle est ta vision sur ce point ?

SA : En simplifiant, il faudrait que les élèves ingénieurs bossent plus, qu'ils fassent plus d'informatique. Il faut aussi tordre le cou à cette idée idiote que nos meilleurs ingénieurs sont si brillants qu'ils peuvent apprendre en trois ans ce qu'on met deux fois plus de temps à apprendre ailleurs. Il faut qu'ils fassent comme les meilleurs partout ailleurs, des thèses !

Specif : Des débats viennent régulièrement animer la communauté sur informatique théorique vs informatique " appliquée ". Tu as prouvé que l'on peut contribuer sur ses deux dimensions, quel regard portes-tu sur ce débat ?

SA : Je me suis encore engueulé récemment avec un ponte de mon domaine, qui faisait du " theory bashing ". Cela me parait une dispute du siècle dernier. L'informatique sans la théorie n'a pas de sens. Les systèmes sont devenus trop complexes, les problèmes trop difficiles. Les solutions géniales bricolées, c'était le bon vieux temps, mais c'est révolu. Mais, l'informatique sans les systèmes, ça n'a pas de sens non plus. En France, on a plutôt tendance à avoir ce travers là, à penser qu'une recherche sans théorème, c'est pipeau. L'informatique ne serait pas ce qu'elle est avec les seuls théoriciens. Personnellement, j'ai essayé de concilier les deux. Cela présente peut-être le risque de n'être à fond ni d'un coté, ni de l'autre, et je ne propose surtout pas cela comme modèle. Je pense qu'il faut le maximum de diversité.

Specif : Tu as récemment obtenu un ERC Advanced Grant sur "Fondations of Web Data Management " et tu as intitulé ton discours d'entrée à l'académie des sciences " gestion de données distribuées ". Peux-tu nous décrire plus précisément l'objectif de ses recherches.

SA : Je travaille depuis toujours sur la gestion de données. Depuis une quinzaine d'années, je m'intéresse aux données sur le Web et à la distribution de données en général. Le domaine des bases de données s'est développé depuis les années soixante-dix en développant en parallèle des systèmes qui ont été des succès industriels (comme les SGBD d'IBM ou Oracle) et une théorie qui a fleuri parfois très proche des systèmes, parfois à la frontière d'autres domaines comme la théorie des modèles finis en logique ou la théorie de la complexité en informatique théorique. J'ai pas mal enseigné les bases de données relationnelles, et c'est un cours comme je les aime : de la théorie, des algorithmes, du système. Mais les données consistaient en des tableaux à deux dimensions sur des serveurs centralisées. Avec le Web, tout a changé. A Stanford, j'ai enseigné la gestion de données distribuées. Le sujet est passionnant mais j'ai réalisé que mon cours ressemblait à une suite de recettes de cuisine. Le but de l'ERC Webdam sur les Fondements de la gestion de données du Web, est de participer à développer les fondements de ce domaine. Ma thèse est que les systèmes que l'on envisage sont si complexes que l'on n'y arrivera pas sans de tels fondements. On en a besoin pour comprendre ce qu'on fait, pour le faire mieux, plus efficacement, plus sûrement, pour pouvoir l'enseigner.

Specif : Parmi l'ensemble des résultats que tu as obtenu durant ta riche carrière, quels sont ceux dont tu es le plus fier ?

SA : C'est difficile de choisir. Il y en a plusieurs qui me tiennent à cœur parce qu'ils ont représentés des efforts, des aventures. Mais je vais en choisir deux. Un résultat théorique avec Victor Vianu. On essayait de comprendre ce qu'on pouvait calculer avec le calcul des prédicats du premier ordre et un point fixe et on bloquait. Le nœud du problème est l'absence d'ordre sur les données. Un jour, on a trouvé le bon outil, des classes d'équivalences particulières qu'on arrivait à calculer et ordonner avec l'opérateur de point fixe. Ce qui est resté, c'est un résultat qui dit que PTIME = PSPACE si deux logiques de point fixe ont le même pouvoir d'expression. Mais ce qui est cool, c'est la caractérisation avec les classes d'équivalences. L'autre résultat appliqué est avec deux étudiants, Gregory Cobena et Mihai Preda. Nous avons développé un algorithme pour calculer le PageRank de Google de manière dynamique, sans même avoir à stocker la matrice du Web. L'algorithme est marrant et en plus on a crawlé des centaines de millions de pages du Web et on les a classées avec. Une expérience !

lundi 14 décembre 2009

Le contre-appel des scientifiques incultes

J'ai trouvé tout à fait surréaliste le déchaînement médiatique pour la défense de l'histoire géo en terminale S. On n'a pas entendu les mêmes critiquer les absences dans les programmes du bac pro ou l'abandon du cours d'informatique pour tous en seconde...

Pour remettre les pendules à l'heure : lire ce contre-appel

mardi 8 décembre 2009

La disparition du Q

Qui oublie son cul, perd son âme (proverbe indien)

Pendant quelques heures (quelques jours ?), la vieille dame de Rocquencourt en passant de

http://www-rocq.inria.fr, à http://www-roc.inria.fr

en a perdu son Q. C’était peu de choses, juste une disparition qui aurait plu à Perrec. Dans une tendance générale à organiser la recherche à la traine d’indicateurs plus ou moins glauques, on restait sur le cul devant la prise de position oulipienne, abandon résolu d’années de référencement et de Pagerank, pour une histoire de Q sans importance.

Mais ça n’a pas duré. L’état était instable et la vieille dame est devenue http://www.inria.fr/rocquencourt/. Tout ça pour ça?

La WayBack Machine d’Internet Archive nous ramène le 2 février 97 pour www-rocq.inria. Ne manquez pas d’aller admirer ce passé si loin et finalement si récent. Nostalgie : cette adresse n’est plus.

Et on se prend à imaginer de prochaines disparitions :
  • Le désuet WouaWouaWoua du début,
  • Le N pour replonger vers le passé et l’IRIA, un Institut en attente d’être nationalisé.
  • Et pourquoi pas, le A pour devenir INRI.

lundi 23 novembre 2009

La barbe !

Un grand moment que celui des roulements de tambour ! Le groupe d’action féministe La Barbe a investi la coupole de l’Institut de France à l’occasion de la séance solennelle de rentrée des 5 académies. Et j'ai raté ça...


Voir le blog de Plafond de Verre


Je dois dire que cela a été une de mes surprises en arrivant à l'académie des sciences, la sous représentation féminine.

Vive les barbues!

vendredi 6 novembre 2009

Un interview dans Science et Vie, novembre 2009

Qu’est-ce qui vous a déjà fait changer d’avis ?



Je participais à un groupe de travail à Stanford en 1995 et deux jeunes doctorants nous ont présenté un projet de moteur de recherche pour le Web. Notre première réaction a été de penser que cela ne pouvait pas marcher. Nous étions convaincus que leur moteur exigerait les ressources de calcul trop importantes, car il fallait traiter des téraoctets de données. Ils nous ont expliqué au tableau, comment on pouvait faire. Ils n’avaient pas encore écrit une ligne de code et n’avaient pas grand-chose sur leur compte en banque. C’étaient les deux fondateurs de Google. Ils nous ont montré qu’il s agissait juste de penser différemment, d’utiliser plus de machines et plus de mémoire, certaines idées récentes issues de labos de recherche, et des algorithmes brillants, dont le fameux « PageRank ». En informatique peut-être
encore plus qu’ailleurs dans la recherche, il faut en permanence remettre en cause
ce qu’on croit savoir, explorer de nouvelles pistes, en un mot, inventer.

Qu’est-ce qui vous semble important et dont on ne parle jamais ?



Les gens voient dans l’informatique des circuits, des machines, des objets physiques, et pas les modèles mathématiques. On ne dit pas assez qu’un logiciel est guidé par des modèles mathématiques, conçus par des êtres humains. Au départ, il y a les algorithmes, des suites d’étapes logiques organisées pour résoudre un problème ; ça n’est pas encore un programme écrit en code informatique. Un exemple : pour commander un voyage sur le site web d’un voyagiste, vous spécifiez la destination, le prix maximum, les dates de départ… Ces spécifications vont former votre requête, un objet mathématique qui va être traduit en un programme effectué sur les données de la base. Le calcul, qui permet au système informatique de trouver les voyages correspondant à vos critères, s’appuie sur un formalisme mathématique appelé prédicats du premier ordre. C est un formalisme propre au langage des mathématiques, introduit au 19ème siècle, bien avant l’invention des ordinateurs !

De quoi êtes-vous sûr sans qu’il soit possible de le démontrer ?



Je suis persuadé qu’un jour personne ne dira plus : « L’informatique, ce n est pas pour moi. » Les machines se configureront toutes seules, s’auto-corrigeront, s’adapteront aux utilisateurs (et pas le contraire). On observe déjà cette évolution. Il y a une vingtaine d’années, l’installation de certains logiciels nécessitait de faire appel à des spécialistes. Aujourd’hui, on réalise des installations beaucoup plus compliquées. en quelques clics. Les développeurs ont bien compris qu’il était indispensable, pour que les gens adoptent un logiciel, de rendre faciles son installation et son usage. C’est vrai pour le grand public comme pour les industriels. Oracle, par exemple, travaille depuis plus de vingt ans au développement de systèmes de bases de données qui s’administrent tout seuls. Je pense que, de plus en plus, les systèmes accompagneront les utilisateurs dans des taches comme la mémoire ou le raisonnement en leur permettant d’aller plus loin dans la création, l’imagination. Evidemment, cela ne rend que plus essentiel l’accès universel à l’informatique. La réduction de la fracture numérique est donc bien un des challenges les plus importants de notre société.

Science et Vie, novembre 09

samedi 24 octobre 2009

Réception à l'acédémie des sciences

Si à ses débuts l’informatique servait à « calculer », on a vite compris que c’était aussi un outil fantastique pour gérer de l’information. Cela a conduit aux systèmes de gestion de bases de données relationnels, développées dans la seconde moitié du 20ème siècle, qui ont rendu possible le traitement de gros volumes d’information. Cette technologie est le fruit d’une recherche fondamentale qui s’est développée en lien étroit avec une industrie florissante. Elle est fondée sur des bases mathématiques rigoureuses et a développé notamment des ponts entre la théorie des modèles finis en logique mathématiques et la théorie de la complexité en informatique. C'est dans ce cadre que j'ai débuté ma vie de chercheur. Par exemple, un de mes résultats avec Victor Vianu établit que deux logiques de point fixe ont exactement la même puissance d’expression si et seulement si les programmes en temps polynomial et ceux en espace polynomial expriment les mêmes fonctions.

On commençait à peine à maîtriser la gestion de gros volumes de données sur des serveurs centralisés, que le web débarquait. En une vingtaine d’années à peine, il a révolutionné nos modes de travail et notre vie sociale. Du catalogue de vente d’Amazon, aux photos de Flickr ou l’encyclopédie Wikipedia, les bases de données sont au cœur des systèmes du web, avec des problèmes d'échelle étonnants, comme les milliards de pages indexées par Google ou les centaines de millions d'utilisateurs de Facebook.

Le monde de la gestion de données a profondément changé au delà même de ces problèmes d'échelle. Il a changé d’abord par la nature de l’information que l’on manipule, des structures plus riches comme les arbres XML et surtout moins rigides, plus dynamiques. Il s'est transformé surtout parce que l'information est de moins en moins centralisée ; chacun à sa mesure peut contribuer à l'édition d'information sur le web, à leur diffusion, à leur exploitation.
La gestion de données distribuées a longtemps constitué un problème difficile à résoudre du fait de l’hétérogénéité des machines, des systèmes d’exploitation, des modèles de données, des langages utilisés par les applications. Le web et ses standards ont changé la donne. On dispose en particulier maintenant d’un protocole de communication entre machines, les « services web », qui permet de transformer facilement des données personnelles en des ressources accessibles partout. Cela a conduit en particulier aux systèmes peer-to-peer, pair-à-pair en français.
A la base, un système P2P est constitué de machines autonomes, parfois en très grand nombre, qui coopèrent pour réaliser une tâche. Ce sont des pairs, égaux en droits, tour à tour clients et serveurs pour d’autres pairs. Le P2P est surtout célèbre pour le téléchargement plus ou moins légal de musique ou de film. Mais ses applications vont bien au-delà. Ses avantages sont considérables. D’un point de vue technique, en disposant de nombreuses machines (de leurs processeurs, de leurs mémoires, de leurs disques), on peut offrir de meilleures performances et une meilleure disponibilité. Surtout, de tels systèmes permettent d’utiliser les ressources innombrables disponibles sur le réseau, et de se libérer des serveurs commerciaux qui stockaient nos données. Il devient possible de reprendre le contrôle sur sa propre information.

Les bases de données relationnelles disposaient de fondements mathématiques solides. Ma recherche actuelle participe au développement de fondements semblables pour les données distribuées. Cela devrait permettre de mieux comprendre les systèmes que nous utilisons, de les rendre plus performants, de mieux les contrôler.

Que peut-on attendre de ce domaine ? Toujours plus d'innovation ! En déplaçant l'information vers le réseau, les avancées scientifiques et technologiques du web ont radicalement étendu l'univers du possible. Elles peuvent aider à résoudre nos problèmes les plus graves, comme celui du développement durable. Elles s'accompagnent bien-sûr aussi d’écueils, et pour n'en citer qu'un, la fracture numérique qui prive une partie de l'humanité de l'accès à l'information. Nous devons apprendre à en maîtriser les effets pervers mais sans en restreindre les possibilités extraordinaires.

Je voudrais maintenant conclure par une pensée pour les collègues et étudiants avec qui j’ai eu tant de plaisir à travailler et sans lesquels je ne serais pas ici. Je les remercie et je vous remercie pour votre attention.

Réception à l'académie des Sciences, juin 2009

La prime d'excellence scientifique (PES)



Les réactions contre la PES se multiplient, parfois un peu surréalistes, souvent assez inventives.

Préliminaires

Le problème principal à l'INRIA pour ce qui est des rémunérations des chercheurs, est le très faible niveau des salaires à l'embauche. Je ne dis pas que les salaires les plus hauts sont trop hauts: Les écarts entre les bas et les hauts salaires sont beaucoup plus étroits que la norme ailleurs, même si on peut encore les trouver trop importants. Mais, en gros, le fait de faire un des plus beaux métiers du monde compense le manque à gagner, seulement quand le salaire passe un certain seuil, disons au passage DR. Donc la priorité serait à mon avis de relever les rémunérations des CR. C'est la priorité et on nous balance dans les pattes une PES mal ficelée.

[Les chiffres que j'ai lus: Il y a une trentaine d'année, le salaire d'un jeune chercheur (n'ayant pas obligatoirement sa thèse) était de 4 fois le smic. Aujourd'hui il faut le plus souvent un post doc. Lesalaire est 1,5 fois le smic.]

C'est devenu une habitude. On déplace le débat sur des sujets annexes. Le vrai sujet reste la rémunérations des débutants. On n'en parle pas. S'il faut parler de la PES.

Contre la PES?

C'est vrai qu'on comprend qu'avec la PES nous aurions 80% de médiocres à l'INRIA. Ça refroidit! On ne peut pas l'accepter. C'est simple. Non à la PES telle qu'elle est proposée!

Depuis le temps que plein de fonctionnaires ont des primes et pas nous, on ne va quand même pas refuser? Est-ce qu'il est possible de faire évoluer la manière dont elle est distribuée? Oui à une PES qui serait bien faite. Est-ce qu'on sait ce qu'on veut? Est-ce qu'on parle tous de la même chose?

A contre courant

La recherche est un grand privilège. On a un des plus beau métier du monde. Donc cela se paie. Notre responsabilité est de rendre le système le plus efficace possible. Des primes d'excellence scientifique pourraient permettre d'attirer à la recherche les meilleurs jeunes, de les garder, de rendre le métier plus attractif aux meilleurs qu'on veut faire venir.

Les chercheurs choisissent leur vie. Certains font beaucoup de consulting et ça parait normal. Certains sont promus plus rapidement et ça parait normal. Donc l'idée de l'égalité de rémunérations entre chercheurs est une illusion.

Et pour contredire quelques idées lues ici ou là:

Ça va démoraliser de voir des gens avoir la prime quand d'autres ne l'ont pas: Arrêtez! On est habitué à voir des gens plus brillants que soi, des gens qui savent prouver des trucs qui nous ont arrêté. Ça nous pousse au contraire à essayer de nous dépasser.

Ça va introduire de la compétition, une mauvaise ambiance à l'intérieur des équipes. Arrêtez! On est habitué à la compétition. Et sauf à être looser, on a compris que nos meilleurs alliés étaient nos proches. C'est ensemble avec des collègues, qu'on apprend à réussir.

Ce n'est pas un jury "interne" qui saura nous évaluer. Il y a un peu de vérité là dedans. Donc il faut se battre pour que l'évaluation soit faites convenablement avec plein d'extérieurs. Et puis, on accepte bien l'évaluation à l'embauche et aux promotions. Ça change quoi?



Après pas mal d'hésitation, j'ai choisi de ne pas signer la pétition

Le périmètre de l'Institut informatique du CNRS

Joseph Sifakis, prix Turing 2007 : « On arrive à une situation aberrante au CNRS, condamnée par la majorité des informaticiens. »

Il s'agit toujours du futur institut d'informatique du CNRS dont la rumeur du CNRS est que sa géographie sera réduite à un sous ensemble de l'informatique.

Je partage ce point de vue. Je ne sais pas quoi dire de plus? Il faut que les informaticiens (au sens large et pas au sens de la moitié de la Section 7 du CNRS) expriment leur rejet de cette approche.